La mesure d’impact : un levier politique pour défendre la valeur de l’ESS en temps de crise

Économie sociale

Dans un contexte de crise pour l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), où les subventions s’amenuisent et la concurrence avec le secteur privé classique s’intensifie, comment la mesure d'impact peut-elle contribuer à faire face à la crise de l'ESS ? Loin d’être un simple outil de reporting, elle permet aux structures de l’ESS de démontrer leur utilité réelle, de professionnaliser leurs démarches et de réengager un dialogue constructif avec leurs financeurs. Explication.

Mesure d’impact et utilité sociale : clarifier les fondamentaux pour renforcer l’ESS

Dans le monde de l’ESS, il est essentiel de bien différencier l’utilité sociale de l’impact. L’utilité sociale s'intéresse aux valeurs, aux modes d’action et au fonctionnement d’une organisation. C’est ce qui définit son ADN, sa mission et sa raison d’être.

L’impact, en revanche, se concentre sur les effets réels et mesurables qu’une organisation produit sur la société, les individus ou l’environnement. Il s’agit de répondre à une question centrale : « En quoi les actions de ma structure induisent-elles des changements positifs ? ».

Dans le contexte de l'Avise (Agence de valorisation des initiatives socio-économiques ndlr), les évaluations d'utilité sociale et d'impact social sont complémentaires. L'évaluation d'impact social cherche notamment à mesurer les effets imputables à l'action de la structure, ce qui implique des démarches plus scientifiques.

À l’origine, le terme « impact » englobait des effets intentionnels ou non, positifs comme négatifs. Aujourd’hui, les experts s’accordent de plus en plus sur l’importance de l’intentionnalité. Autrement dit, ce n’est pas simplement générer un effet qui compte, mais le fait de vouloir et de planifier ce changement en réponse à un besoin social. Cette notion est essentielle pour différencier les acteurs de l’ESS des entreprises classiques qui adoptent des discours d’impact sans modifier fondamentalement leurs logiques économiques.

Mesurer l’impact social réel : au-delà des chiffres, comprendre les transformations vécues

Lorsque l’on parle d’impact, la tentation est forte de se limiter à des chiffres : nombre de bénéficiaires, quantité d’actions menées, heures de formation dispensées... Si ces indicateurs sont utiles pour mesurer la performance d'une action (l'impact par rapport aux moyens investis), ils ne suffisent pas à comprendre la portée réelle des actions menées.

Il faut aller plus loin, en interrogeant directement les bénéficiaires sur leur perception des changements vécus. C’est ici que l’on mesure la portée de l’impact, au-delà des chiffres bruts. La collecte de données auprès des parties prenantes permet ainsi de mieux rendre compte de la valeur sociale générée, parfois invisible, mais cruciale.

Mesure d’impact et RSE : deux démarches à différencier pour mieux valoriser l’ESS

Le mot « impact » est aujourd’hui surutilisé, notamment dans le secteur privé classique via les démarches de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Cette récupération peut créer un glissement sémantique délétère pour l’Economie Sociale et Solidaire.

En effet, une entreprise peut avoir une stratégie RSE bien structurée, obtenir des labels ou des scoring, tout en continuant à générer des effets négatifs sur la société ou l’environnement. Inversement, une structure de l’ESS peut créer un fort impact positif sans démarche RSE formelle.

La RSE est un levier pour faire évoluer les pratiques des entreprises et les rendre vertueuses mais elle n’interroge pas pour autant le but intrinsèque à l’entreprise, à savoir la recherche de profits. Elle a cependant son utilité pour faire évoluer les gouvernances, réduire les impacts négatifs ou encore engager des politiques de diversité.

Ce flou entre « impact » et « RSE » alimente une concurrence croissante entre l’ESS et le secteur privé, notamment sur les marchés publics, les subventions ou les avantages fiscaux. Il devient donc vital pour les acteurs de l’ESS de prouver leur apport spécifique, en s’appuyant sur des mesures d’impact rigoureuses et crédibles.

Pourquoi la mesure d’impact est un levier stratégique pour faire face à la crise du financement ESS

Contrairement aux idées reçues, la mesure d’impact n’est pas un gadget réservé aux grandes organisations. De nombreuses structures de l’ESS, de toute taille, l’ont déjà expérimentée, avec des retombées concrètes (Source : Etude d'impact 2024, Impact Track) :

  • Rendre des comptes aux partenaires (65,5 %)
  • Améliorer les activités (40,5 %)
  • Comprendre la valeur sociale du projet (37 %)
  • Attirer de nouveaux financeurs (28,8 %)
  • Redonner du sens aux équipes (26,2 %)
  • Renforcer la visibilité auprès des bénéficiaires (23,8 %)

Au-delà du reporting, la mesure d’impact devient un véritable outil de pilotage. Elle permet de structurer l’action, de valoriser les résultats, et même de nourrir un plaidoyer sectoriel — comme dans les secteurs de la lutte contre la pauvreté, de la protection de l’enfance ou de l’inclusion numérique.

Vers une une professionnalisation des démarches de mesure d’impact dans l’ESS

Au Social Value France, des réflexions sont en cours pour établir des revues critiques des démarches de mesure d'impact mises en place, et contrôler leur qualité.

Ces réflexions visent à :

  • Aligner les experts sur des critères communs,
  • Garantir la solidité méthodologique des évaluations,
  • Rendre les démarches de mesure plus accessibles et reproductibles.

Une telle harmonisation est essentielle pour professionnaliser le secteur et renforcer la reconnaissance de l’ESS dans les politiques publiques. Elle permettrait de généraliser des démarches de mesure d’impact réalisées en autonomie par les structures, tout en assurant une robustesse méthodologique reconnue par tous les professionnels et ainsi éviter l'impact washing.

L’internalisation d’une démarche de mesure d’impact permet en effet de l’inscrire dans les instruments de pilotage de la structure pour mieux gérer et valoriser ses activités et impacts, à coûts réduits (un rapport d'impact réalisé par un cabinet de conseil coûte en moyenne 20 000€).

Réaffirmer l’utilité de l’ESS grâce à la mesure d’impact dans un contexte de crise sociale

Depuis la baisse des subventions publiques fin 2024, les structures de l’ESS traversent une crise majeure : réduction des activités, licenciements, explosion des besoins. Face à cette urgence, il devient difficile d’investir dans des projets à long terme, dont la mesure d’impact fait partie.

Et pourtant, c’est précisément dans ce contexte que la mesure d’impact peut jouer un rôle décisif. Elle offre des données objectives et qualitatives pour démontrer la pertinence et l’efficacité de l’action des structures de l’ESS, face à un discours politique qui dénonce un manque de preuves tangibles pour justifier les aides publiques.

Conclusion : défendre l’ESS, c’est aussi mesurer son impact

Impact Track milite pour une mesure d’impact accessible, pertinente et rigoureuse pour toutes les structures de l’ESS. Parce que le PIB ne peut résumer l’état de notre société, nous avons besoin d’indicateurs nouveaux : bien-être, équité, cohésion sociale.

Face aux crises, à la récupération sémantique par le privé conventionnel et à la pression financière, la mesure d’impact est une arme de plaidoyer, de légitimation et de transformation. Elle permet de montrer que l’ESS n’est pas simplement utile, elle est essentielle.

Pour aller plus loin

👉 Découvrez la solution Impact Track pour internaliser sa démarche de mesure d'impact

👉 Accédez au replay du webinaire "Approches RSE et à impact : savoir les différencier pour mieux les utiliser" en partenariat avec Koreis et l'ESSEC

👉 Découvrez les rapports d'impact de structures de l'ESS dans tout domaine d'intervention (bien-vieillir, soutien aux jeunes, santé, lutte contre les exclusions...)