L’association le Labo des histoires agit en faveur de l’apprentissage de l’écriture par le plaisir. L’enjeu : changer le regard sur cette pratique jugée élitiste. Pour cela, il était important pour Thibault Lacarriere, directeur général de l’association, de disposer de retours objectifs et structurés de ses bénéficiaires. Entretien.
Pouvez-vous me présenter la structure et le projet qui a fait l’objet de la mesure d’impact ?
Le Labo des histoires est une association créée en 2011, dont la mission est de donner envie d’écrire aux jeunes. L’idée de départ est simple : il existe des structures pour encourager la pratique de nombreuses activités créatives – théâtre, dessin, musique – mais rien d’équivalent pour l’écriture. Ce qui existe pour l’écriture, c’est l’école, qui enseigne les règles et la maîtrise de la langue, mais il n’y a pas de lieu où l’on apprend à écrire pour le plaisir. Le Labo des histoires est donc né pour combler ce manque et démocratiser le plaisir d’écrire. Notre conviction, c’est que tout le monde a des histoires à raconter et que chacun peut prendre plaisir à le faire.
Concrètement, nous nous adressons à des jeunes de 6 à 25 ans à travers plusieurs types d’interventions : des ateliers d’écriture, des formations et des concours. Nous avons fait appel à Impact Track pour mesurer l’impact de nos ateliers d’écriture. Nous en organisons 3 000 chaque année sur l’ensemble du territoire français et nous voulions mesurer les compétences qu’ils permettent de développer chez les enfants, adolescents et jeunes adultes qui y participent.
Quel a été le déclic pour vous lancer dans cette démarche ?
Il y a eu deux éléments déclencheurs. D’abord, l’association a bientôt quinze ans et nous n’avions jamais mené d’étude d’impact d’envergure auprès de nos bénéficiaires. Nous l’avions fait auprès de nos intervenants et de nos partenaires – professionnels de la jeunesse, de l’éducation populaire, de la culture – mais jamais directement auprès des jeunes. Nous nous sommes dit que le moment était venu d’avoir une démarche structurée, au-delà des témoignages que nous avions pu recueillir ici et là. Il s’agissait de prendre du recul sur nos actions : voir ce qui fonctionne, ce qui peut être amélioré, et le faire de manière méthodique.
Ensuite, cette étude répondait aussi à une attente récurrente de nos partenaires, publics comme privés, qui nous demandaient : « Quel est votre impact auprès des jeunes ? ». Nous étions convaincus que cet impact était réel et important, mais nous voulions pouvoir l’objectiver, le démontrer concrètement. L’objectif était de prouver que nos ateliers fonctionnent et qu’ils changent réellement le regard des jeunes sur l’écriture.
Comment vous êtes-vous organisés autour de ce projet ? Comment avez-vous impliqué l’équipe et quelles ont été les grandes étapes ?
Nous avons d’abord désigné au sein de notre équipe une coordinatrice, Margaux Nemmouchi, qui a assuré le pilotage du projet du début à la fin. Elle faisait le lien avec Impact Track et veillait au bon déroulement de chaque étape. Mais au-delà de cette responsabilité centrale, nous avons impliqué l’ensemble de l’équipe. Pour moi, une étude d’impact est un projet fédérateur : il faut que tout le monde comprenne à quoi elle sert, ce qu’elle apporte et comment elle se met en œuvre. C’est un travail collectif. Le projet s’est déroulé en cinq grandes phases.
Nous avons commencé par identifier ce que nous voulions mesurer, ce que nous voulions démontrer et comment nous allions le faire. C’était une étape essentielle pour cadrer la démarche.
Ensuite, sur la base de ces indicateurs, nous avons élaboré des questionnaires destinés à des jeunes de 8 à 25 ans, souvent en situation de fragilité sociale et ne maîtrisant pas toujours parfaitement la langue. Nous voulions des outils simples, clairs et accessibles, mais aussi suffisamment complets pour recueillir à la fois des données chiffrées et des témoignages qualitatifs. Avant le déploiement, nous avons testé les questionnaires sur un échantillon restreint pour vérifier leur pertinence et leur compréhension, puis nous avons effectué quelques ajustements.
Enfin, nous avons procédé à l’analyse des réponses afin d’en tirer les enseignements et de les partager, non seulement avec nos partenaires, mais aussi plus largement avec tous ceux qui s’intéressent à l’efficacité des ateliers d’écriture. Au total, le processus a duré environ neuf mois, d’octobre 2024 à juin 2025.
Quels enseignements tirez-vous des premiers résultats ?
Les conclusions sont très positives. L’objectif principal — développer les compétences d’écriture — est atteint chez la très grande majorité des participants. On a vu aussi d’autres impacts importants : compétences psychosociales, curiosité, ouverture au monde et à la culture. Plus de la moitié des jeunes interrogés disent qu’après les ateliers, ils ont envie de pratiquer de nouvelles activités culturelles (écriture ou autres). Et on constate que la satisfaction augmente avec la durée : plus les projets sont longs et construits, plus ça leur plaît. Les chiffres et les témoignages défont l’idée fausse selon laquelle les jeunes se sont détournés de l’écriture.
Cela montre aussi que, dans de bonnes conditions (un projet, un thème, un accompagnement), les jeunes écrivent et y prennent plaisir. C’est un combat loin d’être perdu. Côté méthode, cela nous incite à concentrer l’effort sur des projets plus longs, plus efficaces, mais plus exigeants en financement et en organisation.
Selon vous, qu’est-ce que la mesure d’impact vous a apporté, et que peut-elle encore vous apporter ?
On avait trois objectifs :
- Confirmer l’efficacité de nos actions auprès des bénéficiaires.
- Accroître l’impact social en réfléchissant à la méthodologie (quels types d’actions, quelle organisation...).
- Nourrir le débat public sur les bienfaits de l’écriture, sa place et sa transmission.
L’écriture a souvent une image élitiste. Notre idée, c’est de dire que l’écriture appartient à tout le monde : on peut prendre du plaisir même si on fait des fautes. Mettre en avant ce plaisir libère beaucoup de choses chez les jeunes : structurer un récit, exprimer des émotions, trouver le mot juste ; mais aussi la confiance en soi, le travail en groupe, l’aisance dans un collectif, la curiosité pour ce qui se passe autour de soi. D’où l’enjeu : changer le regard sur l’écriture et sur la manière de la transmettre et informer les politiques publiques autour de l’écriture, qui sont aujourd’hui encore très peu développées.
Quels sont vos prochains défis ?
Le premier enjeu sera de convaincre l’ensemble de nos partenaires publics et privés de l’importance de l’écriture et de sa transmission, et de changer son image (pas seulement des dictées à l’école, mais de l’invention d’histoires, de la création de récits). Nous voulons des politiques publiques pour permettre de trouver une nouvelle place à l’écriture, à l’école et en dehors. Ensuite, à l’échelle de l’association, nous nous appuierons sur l’étude d’impact pour toucher plus de jeunes en développant des activités numériques, en allant vers de nouveaux territoires, et en testant de nouveaux modes d’intervention. L’objectif est d’aller au-delà des 30 000 jeunes par an que l’on touche aujourd’hui.
Avez-vous un conseil, un mot inspirant pour les porteurs de projet qui hésitent à se lancer dans une démarche de mesure d’impact ?
On remet toujours ça à plus tard, parce qu’on est pris par les urgences. Or, on se fixe soi-même l’échéance. Par ailleurs, il faut le reconnaître : cela représente beaucoup de travail. Mais maintenant que nous sommes de l’autre côté, c’est très positif pour nous. D’abord c’est très mobilisateur et fédérateur : ça amène à se poser des questions collectivement.
Ensuite, cette démarche fait date dans la vie d’une association : on sort du quotidien et on prend du recul sur ses activités.
Enfin, elle permet d’obtenir des retours structurés des bénéficiaires. C’est très valorisant dans une période compliquée pour le monde associatif. Ça donne du carburant.
Il faut choisir le bon moment pour se lancer, mais ne pas trop tarder. Et surtout, le faire d’abord pour soi, pas seulement pour les partenaires.
Pour aller plus loin
Découvrez les résultats complets de l’étude d’impact de Labo des histoires
(Re) découvrez la série #PartageTonImpact avec le témoignage de la Tablée des chefs
